Cinéaste exceptionnel à part entière, Fadil Camara effleure aujourd’hui l’univers de la littérature. Ce pionnier de la bande dessinée guinéenne nourrit de fortes ambitions pour la valorisation de la culture de son pays la Guinée, quoique son parcours aux yeux de certains semble subir l’usure du temps.
-Comment le cinéma s’est-il révélé à vous ?
MOHAMED FADIL CAMARA : Depuis la prime jeunesse, le cinéma a été l’une de mes principales activités de loisirs, à côté du foot. Il fallait manquer de tout sauf le prix de son ticket de film tous les jeudis et samedi, dans des grandes salles ouvertes à large publique.
Donc j’économisais sur les jetons que mes parents me remettaient pour l’école pour acheter mon ticket de cinéma en me privant bien entendu de manger pendant la récréation.
Et lorsque je passais mes examens pour le collège, j’avais déjà visionné plus d’une centaine de films : les westerns, polars, gladiateurs, pirates, policiers, des films d’aventures, d’horreurs, etc. Ce n’était pas mal déjà en bas âge et à cette époque de comptabiliser autant de films visionnés, c’était énorme. Et cela dit long sur ma passion pour le cinéma.
Et mes amis et moi collectionnaient, des affiches de films qu’on découpait dans certains journaux français : Figaro, Le Monde, L’équipe, etc. On les collait dans des livres, et peu importe que se soient des livres d’orthographe ou de géographie, on s’en foutait ! Et pendant nos temps de repos, on les sortait et les feuilletait avec délectation comme des albums photos, précieusement gardés.
Et puisque je savais dessiner, je reproduisais les affiches de films et collectionnais aussi des bandes dessinées : Zambla, Akim, Tarzan, Rahan, Lucky Luke, Picsou et Donald, Mickey, etc. Et ma passion pour le dessin a précédée celle pour le cinéma et le théâtre.
-Racontez nous vos débuts dans le cinéma ?
Très tôt en bas âge je me suis révélé très bon dessinateur et je fus le pionnier de la bande dessinée guinéenne, c’est à dire le tout premier guinéen à éditer une bande dessinée par les soins de l’imprimerie Patrice Lumumba.
Et une fois à l’université j’ai commencé à écrire des pièces de théâtre et des saynètes. Une de mes pièces de théâtre intitulée ”Pacte Et Défi ” et une de mes saynètes ont reçu respectivement le premier prix du concours universitaire de l’université Gamal Abdel Nasser, à cette époque.
La pièce ”Pacte Et Défi” fut filmée sur scène par la RTG, en compagnie de mon club de théâtre que j’avais formé, composé essentiellement d’étudiants.
Et vue le succès de ce numéro sur le petit écran, la Direction de la télévision nationale me demanda de le filmer dans la nature sous la direction de M. Abdoulaye Georges Cissé, paix à son âme.
Ce fut mon premier contact avec un réalisateur, avec la vidéo et depuis j’ai rêvé d’apprendre ce métier, puisque j’avais maintenant l’intention de continuer à faire de la vidéo. J’étais séduis par la beauté des images ! Et le tout premier film que j’ai réalisé fut ”Journal Intime”.
J’avais compris très tôt que le cinéma était l’art le plus complet car il me permettait de profiter de mon talent de dessinateur, de dramaturge, de scénariste, de comédien, de metteur en scène, et plus tard d’écrivain, de romancier, etc.
-Peu de guinéens vous connaissent. Comment cela s’explique t-il à votre avis ?
Ce n’est pas mon avis ! Beaucoup de guinéens me connaissent malgré qu’il y’a plus d’une décennie que je ne réalise plus de vidéos. Il arrive souvent que des inconnus m’abordent dans la rue, en m’adressant leurs salutations avec un air très familier agrémenté par un gentil sourire. Et lorsque je m’interroge intérieurement sur leurs identités, ils me rassurent en ces termes : « Tu ne me connais pas mais je suis tes films, ils sont très intéressants ! Continu et ne t’arrête pas. Recevez mes félicitations et encouragements ! Donc j’ai beaucoup d’admirateurs encore en cachette et ce n’est pas possible de les quantifier pour juger de leur effectif, minoritaire.
-Combien de films avez-vous à ce jour à votre actif ?
Sept, je crois : Pacte Et Défi, Journal Intime, Blanc Sang, Permis d’Aimer, Couleurs De Femmes, Promesse d’Adieu, Le Parigot.
-On vous a toujours connu acteur, maintenant Fadil est porté par le désir d’écrire et de figurer dans la longue liste des romanciers d’abord d’Afrique. Comment cet univers littéraire vous a-t-il attiré ?
L’écriture faisait partie de mes rêves d’adolescent. Et le déclic est parti des romans du français, Gérard De Villiers, auteur des S.A.S. ( Son Altesse Sérénissime) le prince Malko Linge.
Vous savez il aligne toujours les titres de ses précédents romans sur le revers de la couverture du dernier en date et moi je me plaisais à lire ces titres, et cela me semblais magnifique. Du coup je me suis dis, il faut qu’un jour j’arrive moi aussi à faire comme lui, à aligner les titres de mes œuvres comme ça.
Et dès au collège, j’ai commencé mes toutes premières tentatives d’écriture. J’ai débuté par des nouvelles, puis des saynètes, des pièces de théâtre, des scénarios et enfin des romans.
-Vous en êtes à combien de romans écrits à ce jour ?
Je suis à mon septième manuscrit de romans et un publié, plus un petit livre.
-Quel genre de romancier vous vous décrivez ?
Essentiellement des romans à couleur l’eau de rose ! Mais il y’a d’autres thèmes que j’aborde aussi à part les histoires de cœur !
-En Guinée, il n’y a pas de sujets qui manquent, ni d’histoires à raconter que çà soit en cinéma ou pour le livre. Votre pays se réveille t-il progressivement aujourd’hui de sa torpeur cinématographique ou littéraire ? Quel est votre regard sur le cinéma et la littérature guinéen ?
On peut dire qu’il y’a un regain d’intérêt pour le septième art ou le huitième pour être un peu strict sur les termes : la télévision la vidéo. La Guinée a toujours été une nation de culture et d’art. Elle s’est illustrée en lettre d’or dans ce domaine et sur le plan continental et international.
C’est une grande nation de culture ! Elle a produit d’éminents écrivains, chanteurs, comédiens, danseurs, chorégraphes, etc, mais qui sont tous pour la plupart morts misérablement.
Et l’ouverture de l’ISAG a été un plus dans le paysage artistique et culturel du pays. Cela répond aux soucis de professionnalisation de ces métiers autrefois relégués au second plan. Il y’a eu beaucoup de promotions sorties de cette école, malgré que la plupart ont rangé leurs diplômes dans le tiroir et exercent d’autres métiers que celui pour lequel ils ont reçu une qualification.
-Conakry, capitale mondiale du livre en 2017. En tant que romancier, qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est une grande joie pour moi, et je félicite toute l’équipe et des personnes qui ont œuvrées pour l’acquisition de ce grand rendez-vous culturel et international. C’est une victoire pour le peuple du 2 Octobre 1958, et j’espère que l’occasion sera mis à profit pour impulser davantage le goût de la lecture chez nos compatriotes et les ramener dans les librairies qui se font d’ailleurs de plus en plus rares au pays. Ce qui est par contre bien dommage !
Pour moi un peuple qui ne lie pas, est un peuple ignorant et mal informé. La lecture est la nourriture de l’esprit. Et plus de 80 pour cent du savoir de l’humanité sont versés dans des bouquins et le reste imprimé sur des bandes audios et vidéos. C’est dire comme de fois le livre est important !
-Vos projets ?
Oui bien sûr que j’ai des projets si Dieu me donne la chance et les moyens je compte avoir ma boîte de production pour faire des films : fiction, documentaires, séries, feuilletons et autres. Après le recul, je ne voudrais plus patauger dans l’amateurisme et la dépendance. Je veux être autonome financièrement et matériellement. Je n’aime pas qu’on me censure, et la condition à cela c’est avoir son indépendance tout azimut.
-Merci Mohamed Fadil CAMARA
C’est à moi de vous remercier
Entretien réalisé par Mohamed Damaro Camara
Visionjeunes.com